Depuis plusieurs années, la République démocratique du Congo traverse une situation sécuritaire particulièrement instable dans sa partie orientale. Dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, les affrontements opposant les Forces armées de la RDC (FARDC) à divers groupes armés, dont le Mouvement du 23 Mars (M23), ont provoqué une grave crise humanitaire et accentué les tensions régionales. Face à cette insécurité persistante, plusieurs pays se sont engagés dans des initiatives régionales de paix visant à soutenir les efforts de stabilisation du pays.
C’est dans ce contexte que circule largement sur les réseaux sociaux une image montrant un convoi militaire composé de plusieurs véhicules blindés alignés sur un pont au-dessus d’une rivière. Chaque engin arbore le drapeau du Kenya, tandis que des soldats apparaissent debout sur les véhicules ou marchant à leurs côtés, sous le survol d’un hélicoptère.
La légende qui accompagne cette image affirme qu’elle montre l’arrivée des forces kényanes en République démocratique du Congo dans le cadre d’une mission de paix.
Or, les vérifications menées par Thibitisha Fact révèlent que cette image n’est pas authentique : elle a été générée à l’aide d’une intelligence artificielle.
Ce que disent les publications
L’image a été publiée sur la page Facebook L’international Frangin Samuel ( lien archivé), accompagnée de la légende suivante :
« Les forces kenyanes sont entrées en République démocratique du Congo pour une mission de paix. Nous souhaitons le meilleur aux troupes alors qu’elles s’efforcent d’apporter la stabilité dans la région ».
Le post a suscité un large engagement en ligne, totalisant plus de 2 200 mentions « J’aime », 1 540 commentaires et 47 partages au mercredi 4 novembre.
À la lecture des réactions, il apparaît que de nombreux internautes ont cru à l’authenticité de cette image et à l’information qu’elle véhicule, la partageant comme un fait réel.
Analyse technique
Afin de déterminer l’origine réelle de l’image, l’équipe de Thibitisha Fact a entrepris plusieurs étapes de vérification technique.
Nous avons d’abord effectué une recherche inversée à l’aide de différents outils comme Google Images, TinEye et Yandex. Cette démarche vise à identifier si une image a déjà été publiée auparavant, et dans quel contexte. Cependant, aucune correspondance n’a été trouvée auprès de sources crédibles telles que des agences de presse, des médias reconnus ou des institutions officielles. Tous les résultats renvoyaient uniquement vers des comptes de réseaux sociaux qui partageaient la même image sans mentionner de source ni fournir d’éléments de preuve. Cette absence de correspondance fiable constitue un premier indice que l’image n’est pas liée à un événement réel documenté.
Nous avons ensuite examiné les métadonnées (EXIF) de l’image, c’est-à-dire les informations techniques intégrées au fichier pouvant renseigner sur l’appareil utilisé, la date de prise de vue ou la localisation. L’analyse a révélé qu’aucune information sur l’appareil photo ou le smartphone n’était présente : ni marque, ni modèle, ni coordonnées GPS. La résolution très faible de l’image, 1024 par 938 pixels, soit moins d’un mégapixel, est également atypique pour une photographie de terrain et correspond plutôt à une image générée par ordinateur ou fortement recompressée pour le web. Les paramètres techniques, tels que l’espace colorimétrique standard sRGB et la compression JPEG classique, sont compatibles avec un fichier destiné à une diffusion en ligne, mais ne permettent pas de confirmer l’authenticité de la scène. De plus, la miniature et les métadonnées IPTC étaient vides, ce qui signifie qu’aucune information journalistique officielle auteur, date ou crédit photo n’accompagnait le fichier.
Une image générée par l’intelligence artificielle
Nous avons ensuite soumis l’image à l’outil Hive Moderation, un logiciel spécialisé dans l’identification de contenus générés par l’intelligence artificielle. Cet outil permet d’analyser finement les images pour détecter des motifs, des textures et des incohérences caractéristiques des créations numériques, difficiles à reproduire dans une photographie réelle. L’analyse a révélé que 99,9 % de l’image présente des signes typiques de contenus générés par une IA.
Analyse des tenues et du matériel militaire
Pour approfondir la vérification, Thibitisha Fact a observé attentivement les uniformes et les véhicules visibles sur l’image. La comparaison avec les tenues officielles des Kenya Defence Forces (KDF) révèle plusieurs incohérences. Les soldats kényans portent habituellement un camouflage de type Digital DPM, dans des tons brun-vert, accompagné de bérets colorés selon l’unité et d’insignes clairement identifiables, notamment le drapeau national sur la manche et un emblème distinctif sur la poitrine. Sur l’image virale, aucune de ces marques officielles n’est visible et les motifs de camouflage sont incohérents, tandis que certains gilets et casques semblent hétérogènes et déformés, ce qui est typique des images générées par intelligence artificielle.
Les véhicules blindés présentent eux aussi des anomalies. Ils ne comportent aucune numérotation ni marquage officiel, éléments normalement présents sur les engins des KDF. De plus, certaines roues sont irrégulières et certaines silhouettes semblent déformées, renforçant les indices visuels d’une génération numérique.
Ces observations combinées à l’analyse des métadonnées et à l’évaluation par Hive Moderation montrent clairement que l’image ne représente pas un convoi réel de l’armée kényane en République démocratique du Congo. Elle est artificielle et ne reflète aucun événement militaire authentique sur le terrain.
Contexte réel du déploiement kényan en RDC
Il est vrai que des troupes kényanes ont été officiellement déployées en République démocratique du Congo, mais cela remonte à novembre 2022, dans le cadre de la Force régionale de la Communauté d’Afrique de l’Est (EACRF). Cette mission visait à appuyer les Forces armées de la RDC (FARDC) dans leurs opérations contre les groupes armés, notamment le Mouvement du 23 Mars (M23), et à contribuer à la stabilisation de la région.
Cependant, ce déploiement a pris fin en décembre 2023, après la décision du gouvernement congolais de ne pas renouveler le mandat de la force régionale, jugeant que ses résultats étaient insuffisants. Depuis lors, aucune nouvelle entrée des troupes kényanes n’a été annoncée ni confirmée par Kinshasa, Nairobi ou une institution internationale.
Ainsi, bien qu’un tel déploiement ait effectivement eu lieu par le passé, l’image récemment diffusée n’est liée à aucun événement militaire réel et a été fabriquée artificiellement pour donner l’impression d’une nouvelle arrivée de soldats kényans sur le sol congolais.
Verdict
L’image montrant un convoi militaire supposé kényan en RDC, accompagnée de la légende affirmant l’entrée des forces kényanes pour une mission de paix, est générée par intelligence artificielle. Les recherches menées par Thibitisha Fact, via la recherche inversée, l’analyse des métadonnées et l’outil Hive Moderation, ont démontré que cette scène ne correspond à aucun événement réel. Les uniformes et véhicules visibles présentent de multiples incohérences par rapport aux standards de l’armée kényane, sans aucun insigne ou marquage officiel.
Bien que des troupes kényanes aient été déployées en RDC en 2022-2023 dans le cadre de la force régionale de l’EAC pour soutenir les FARDC face au M23, cette image n’a aucun lien avec un déploiement récent.
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